Restituer langue arabe et histoire nationale
Quant au piétinement de la langue arabe et de la culture algérienne, dans toutes ses composantes, par la colonisation, c’est toute la chronologie d’une agression historique.
J’ai souvent estimé que notre culture nationale vie un profond malaise causé et par la surpolitisation de tout ce qui touche à l’identité - vue d’un angle unique - et par la médiatisation de tout ce qui ne fait pas l’unanimité au détriment de l’intérêt général. A mon sens, il y a deux facteurs moteurs qu’il faudrait impérativement restituer à tous les Algériens, à savoir notre histoire — faite par tous les Algériens — et notre langue, parlée et écrite par la grande majorité d’entre nous. Car, histoire et langue ont été toujours et restent liées dans l’accomplissement du destin de chaque société. L’on constate, depuis l’indépendance, que le système politique s’est accaparé de la mémoire et du verbe, bondant les esprits par des tas de slogans vernissés, que le temps a fini par mettre à nu, en privant ainsi les autres compétences, les autres acteurs de porter leur contribution par leur intelligence, leur savoir-faire et leurs témoignages sur les questions épineuses de la langue et de l’histoire que l’école et l’université algériennes devraient adopter avec sagesse et rationalité.
La ré-acquisition de ces deux facteurs nécessite courage et patience de la part des femmes et des hommes acquis à la promotion de notre potentiel historique et culturel dans leurs diverses étapes et dimensions pour orner notre personnalité, nous donner plus de confiance en nous-mêmes, en les considérant comme vecteurs qui rassemblent, qui unissent et qui poussent vers l’avant, car ils sont un patrimoine collectif.
Poids du facteur de l’arabitéJ’ai souvent estimé que notre culture nationale vie un profond malaise causé et par la surpolitisation de tout ce qui touche à l’identité - vue d’un angle unique - et par la médiatisation de tout ce qui ne fait pas l’unanimité au détriment de l’intérêt général. A mon sens, il y a deux facteurs moteurs qu’il faudrait impérativement restituer à tous les Algériens, à savoir notre histoire — faite par tous les Algériens — et notre langue, parlée et écrite par la grande majorité d’entre nous. Car, histoire et langue ont été toujours et restent liées dans l’accomplissement du destin de chaque société. L’on constate, depuis l’indépendance, que le système politique s’est accaparé de la mémoire et du verbe, bondant les esprits par des tas de slogans vernissés, que le temps a fini par mettre à nu, en privant ainsi les autres compétences, les autres acteurs de porter leur contribution par leur intelligence, leur savoir-faire et leurs témoignages sur les questions épineuses de la langue et de l’histoire que l’école et l’université algériennes devraient adopter avec sagesse et rationalité.
La ré-acquisition de ces deux facteurs nécessite courage et patience de la part des femmes et des hommes acquis à la promotion de notre potentiel historique et culturel dans leurs diverses étapes et dimensions pour orner notre personnalité, nous donner plus de confiance en nous-mêmes, en les considérant comme vecteurs qui rassemblent, qui unissent et qui poussent vers l’avant, car ils sont un patrimoine collectif.
En revenant un peu en arrière, pour étaler la question de la langue arabe pendant une étape, parmi d’autres de notre histoire moderne, je dirais qu’au lendemain de l’indépendance la diaspora algérienne francophone, vu les circonstances historiques dans lesquelles elle s’est constituée, se voyait légitimée par son rôle joué au cours du développement du mouvement national, comme au cours de la guerre de Libération nationale, de prendre les rênes de l’Etat, de l’administration et de la gestion, en refusant ainsi toute idée d’insérer une langue arabe dont l’utilisation était limitée aux seuls cadis, enseignants des medersas, associations des Oulémas et leurs écoles, donc une langue qui était absente, plutôt absentée par 132 ans d’acculturation et qui, de ce fait, ne peut être intégrée.
Mais l’histoire a retenu, puisque l’Algérie se considérait comme étant partie prenante de la nation (Oumma) arabe, que le facteur arabité, avec tout ce qu’il porte, la langue notamment, devrait peser dans toutes les décisions qui seront prises et mentionnées dans toutes les chartes (Soummam, Tripoli, Alger et celle de 1976), ainsi que dans toutes les versions de la Constitution. Puisque, soutenue politiquement et matériellement, pendant sa guerre de libération, par ses pays frères arabes, consciente qu’elle a lutté pour restaurer sa souveraineté et retrouver sa personnalité arabo-musulmane, considérant que la langue arabe était liée à la religion, et que la religion est prêchée et pratiquée par l’arabe et dans l’arabe, l’Algérie devait institutionnaliser cette langue comme l’une des constantes majeures. Donc, pour prendre place dans les centres de responsabilité étatiques et administratifs d’importance, la diaspora algérienne arabophone devait bousculer sa rivale à travers l’appareil politique unique d’alors, dont elle avait le contrôle pendant longtemps.
Tout le monde sait qu’il y avait une rivalité, qui persiste encore, entre deux tendances, celle qui se penchait culturellement pour une francisation du champ linguistique, afin de pousser l’Algérie vers une relation accrue avec l’ancien Etat colonisateur, pour préserver quelques intérêts et celle qui se battait idéologiquement pour orienter entièrement l’Algérie vers la sphère arabe moyen-orientale (le phénomène de la berbérité surgira après) tandis que la majorité des Algériens restait passive devant ces enjeux. Seuls peut-être les intellectuels algériens, militants de gauche, version PAGS, considéraient avec clairvoyance la question cruciale de la langue, puisqu’ils étaient confrontés aux réalités sociales visibles et aux expériences vécues. Ils devaient communiquer avec les travailleurs et les paysans, soit en arabe soit en tamazight (leur journal clandestin Saout Ech-Chaab était bilingue et Alger Républicain publiait des pages en tamazight en caractères arabes).
C’était là des intentions très significatives qui, malheureusement, n’ont pas duré (le journal El Watan lui aussi, entre 1993-1994, avait fait sortir Al Waqt version arabe dans lequel j’ai publié quelques articles et traductions poétiques sous un pseudonyme). Si je relate ceci, c’est pour montrer qu’il y a eu des tentatives sincères de la part des intellectuels de gauche, particulièrement (artistes écrivains, journalistes peintres - Khadda dans ses beaux tableaux à base de calligraphie arabe - et hommes de théâtre, Alloula particulièrement) en direction de cette langue qui devait, initialement, être le pôle réunifiant arabophones et francophones (de formation) pour le même intérêt : donner à l’arabe écrit, à partir de l’école, un élan moderne. Je reste sceptique quant à une « nahda » authentique de la langue arabe en Algérie sans une contribution effective des intellectuels et spécialistes algériens francophones. C’est leur dû envers la majorité de leur peuple, c’est leur devoir aussi pour leur société. Sans cela, les déchirures perdureront inutilement.
Les arabophones doivent admettre cette réalité. Le rapprochement des uns des autres développerait davantage le dialogue paisible et fraternel pour édifier notre culture, notre histoire sur des fondements justes et démocratiques. Reste que l’Etat algérien, à travers ses institutions, doit trouver les mécanismes d’une approche globale visant à normaliser la question de la langue et définir ses finalités afin de préserver l’unité nationale. Je n’invite personne, de part et d’autre, à se convertir ni n’instigue quiconque à lever l’étendard de la phobie linguistique. Au contraire, en écrivant dans cette langue, qui m’est étrangère, et que des dizaines de milliers d’Algériens lisent, je sens que j’apporte mon humble apport à l’éclaircissement de nos visions qui touchent à notre existence. De mon expérience, je connais des femmes et des hommes, des deux côtés, qui sont prêts à contribuer à faire de la langue arabe — comme langue nationale - un instrument efficace d’apprentissage, de communication, de recherche, de création et d’expression dans la diversité.
C’est vrai qu’il faut que quelques choix soient tranchés et imposés par la volonté politique (sans cela, la langue tamazight ne serait jamais considérée comme une langue nationale. Un référendum sur la question n’aurait jamais la chance d’aboutir positivement), mais cela n’empêcherait pas intellectuels et écrivains algériens de prendre part à la mise en œuvre d’une conception moderniste qui enrichira nos constantes nationales. Je rêve du jour où arabophones, francophones et berbérophones, quand ils se rencontrent librement, s’assoient autour d’un thé, au cours d’un déjeuner ou d’un dîner, parleront algérien, laisseront les « langues officielles » hors champ, comme le font, par exemple, les Libanais, les Marocains et les Tunisiens avec aisance ! Ainsi, j’aurai la sensation d’entendre nos mères et nos pères parlant nos langues avec des sons, des vibrations et des connotations au goût algérien, sans convulsions ni zèles. Des écrivains romanciers, arabophones de la première génération tels que Begtache, Ben Haddouga, Boujadra (dans ses autres écrits en arabe), Moustaghanmi, Ouattar, de la deuxième génération tels que Boutajine, Khallas, Ouassini, Saâdi, Sari, Zaoui et moi-même et de la troisième génération émergente, comme Hamid Abdelkader, H’mida Ayachi, Khaïr Chouar, Bachir Mefti et autres, ont donné, au cours des quarante années passées, une vie à une langue arabe littéraire moderne qui n’existait pas avant.
Il faut avouer que c’est un très grand exploit que de faire naître du néant un roman algérien d’expression arabe et de le réaliser avec un style moderne, une vision esthétique contemporaine et une dimension humaniste. Beaucoup d’Algériens et intellectuels du monde arabe oublient probablement que l’arabe, comme langue fonctionnelle, d’enseignement public, d’apprentissage et de culture, n’a pas encore atteint son demi-siècle d’existence. Comme il est possible qu’ils ignorent ce que cette langue a subi pendant les trois cents ans de règne ottoman suivis de cent-trente-deux ans de colonisations et d’exterminations, détruisant ainsi institutions et établissements traditionnels. Soit plus de quatre siècles de décadence, d’acculturation et de chasse systématique à cette langue en la refoulant au fin fond de l’archaïsme et de l’obscurantisme.
L’anglais nouveau choix des algériens ?Mais l’histoire a retenu, puisque l’Algérie se considérait comme étant partie prenante de la nation (Oumma) arabe, que le facteur arabité, avec tout ce qu’il porte, la langue notamment, devrait peser dans toutes les décisions qui seront prises et mentionnées dans toutes les chartes (Soummam, Tripoli, Alger et celle de 1976), ainsi que dans toutes les versions de la Constitution. Puisque, soutenue politiquement et matériellement, pendant sa guerre de libération, par ses pays frères arabes, consciente qu’elle a lutté pour restaurer sa souveraineté et retrouver sa personnalité arabo-musulmane, considérant que la langue arabe était liée à la religion, et que la religion est prêchée et pratiquée par l’arabe et dans l’arabe, l’Algérie devait institutionnaliser cette langue comme l’une des constantes majeures. Donc, pour prendre place dans les centres de responsabilité étatiques et administratifs d’importance, la diaspora algérienne arabophone devait bousculer sa rivale à travers l’appareil politique unique d’alors, dont elle avait le contrôle pendant longtemps.
Tout le monde sait qu’il y avait une rivalité, qui persiste encore, entre deux tendances, celle qui se penchait culturellement pour une francisation du champ linguistique, afin de pousser l’Algérie vers une relation accrue avec l’ancien Etat colonisateur, pour préserver quelques intérêts et celle qui se battait idéologiquement pour orienter entièrement l’Algérie vers la sphère arabe moyen-orientale (le phénomène de la berbérité surgira après) tandis que la majorité des Algériens restait passive devant ces enjeux. Seuls peut-être les intellectuels algériens, militants de gauche, version PAGS, considéraient avec clairvoyance la question cruciale de la langue, puisqu’ils étaient confrontés aux réalités sociales visibles et aux expériences vécues. Ils devaient communiquer avec les travailleurs et les paysans, soit en arabe soit en tamazight (leur journal clandestin Saout Ech-Chaab était bilingue et Alger Républicain publiait des pages en tamazight en caractères arabes).
C’était là des intentions très significatives qui, malheureusement, n’ont pas duré (le journal El Watan lui aussi, entre 1993-1994, avait fait sortir Al Waqt version arabe dans lequel j’ai publié quelques articles et traductions poétiques sous un pseudonyme). Si je relate ceci, c’est pour montrer qu’il y a eu des tentatives sincères de la part des intellectuels de gauche, particulièrement (artistes écrivains, journalistes peintres - Khadda dans ses beaux tableaux à base de calligraphie arabe - et hommes de théâtre, Alloula particulièrement) en direction de cette langue qui devait, initialement, être le pôle réunifiant arabophones et francophones (de formation) pour le même intérêt : donner à l’arabe écrit, à partir de l’école, un élan moderne. Je reste sceptique quant à une « nahda » authentique de la langue arabe en Algérie sans une contribution effective des intellectuels et spécialistes algériens francophones. C’est leur dû envers la majorité de leur peuple, c’est leur devoir aussi pour leur société. Sans cela, les déchirures perdureront inutilement.
Les arabophones doivent admettre cette réalité. Le rapprochement des uns des autres développerait davantage le dialogue paisible et fraternel pour édifier notre culture, notre histoire sur des fondements justes et démocratiques. Reste que l’Etat algérien, à travers ses institutions, doit trouver les mécanismes d’une approche globale visant à normaliser la question de la langue et définir ses finalités afin de préserver l’unité nationale. Je n’invite personne, de part et d’autre, à se convertir ni n’instigue quiconque à lever l’étendard de la phobie linguistique. Au contraire, en écrivant dans cette langue, qui m’est étrangère, et que des dizaines de milliers d’Algériens lisent, je sens que j’apporte mon humble apport à l’éclaircissement de nos visions qui touchent à notre existence. De mon expérience, je connais des femmes et des hommes, des deux côtés, qui sont prêts à contribuer à faire de la langue arabe — comme langue nationale - un instrument efficace d’apprentissage, de communication, de recherche, de création et d’expression dans la diversité.
C’est vrai qu’il faut que quelques choix soient tranchés et imposés par la volonté politique (sans cela, la langue tamazight ne serait jamais considérée comme une langue nationale. Un référendum sur la question n’aurait jamais la chance d’aboutir positivement), mais cela n’empêcherait pas intellectuels et écrivains algériens de prendre part à la mise en œuvre d’une conception moderniste qui enrichira nos constantes nationales. Je rêve du jour où arabophones, francophones et berbérophones, quand ils se rencontrent librement, s’assoient autour d’un thé, au cours d’un déjeuner ou d’un dîner, parleront algérien, laisseront les « langues officielles » hors champ, comme le font, par exemple, les Libanais, les Marocains et les Tunisiens avec aisance ! Ainsi, j’aurai la sensation d’entendre nos mères et nos pères parlant nos langues avec des sons, des vibrations et des connotations au goût algérien, sans convulsions ni zèles. Des écrivains romanciers, arabophones de la première génération tels que Begtache, Ben Haddouga, Boujadra (dans ses autres écrits en arabe), Moustaghanmi, Ouattar, de la deuxième génération tels que Boutajine, Khallas, Ouassini, Saâdi, Sari, Zaoui et moi-même et de la troisième génération émergente, comme Hamid Abdelkader, H’mida Ayachi, Khaïr Chouar, Bachir Mefti et autres, ont donné, au cours des quarante années passées, une vie à une langue arabe littéraire moderne qui n’existait pas avant.
Il faut avouer que c’est un très grand exploit que de faire naître du néant un roman algérien d’expression arabe et de le réaliser avec un style moderne, une vision esthétique contemporaine et une dimension humaniste. Beaucoup d’Algériens et intellectuels du monde arabe oublient probablement que l’arabe, comme langue fonctionnelle, d’enseignement public, d’apprentissage et de culture, n’a pas encore atteint son demi-siècle d’existence. Comme il est possible qu’ils ignorent ce que cette langue a subi pendant les trois cents ans de règne ottoman suivis de cent-trente-deux ans de colonisations et d’exterminations, détruisant ainsi institutions et établissements traditionnels. Soit plus de quatre siècles de décadence, d’acculturation et de chasse systématique à cette langue en la refoulant au fin fond de l’archaïsme et de l’obscurantisme.
Comparant l’historique de la langue arabe en Algérie, pendant la période d’occupation, à celui de la Tunisie et du Maroc, pour ne pas l’élargir à d’autres pays du Moyen-Orient, il s’avère que ces deux derniers pays ont, pendant leur protectorat, gardé leur souveraineté sur toutes les institutions traditionnelles, la petite entreprise, la terre, le culte et l’enseignement du primaire jusqu’au degré universitaire dans, respectivement, Zaïtouna et Qaraouiyyine, côte à côte de l’enseignement dispensé par l’école française laïque. De ce fait, il serait malsain de reprocher aux milliers d’Algériens formés dans l’école coloniale, dont des écrivains comme Dib, Kateb, Mammeri, Mimouni, Amrani, Djabbar et autres de ne pas communiquer en arabe sous peine de les considérer comme alignés et de rejeter, en conséquence, leur littérature parce qu’elle n’est pas écrite en arabe. Comme il est navrant de voir, de l’autre côté, quelques illuminés prétendre que l’écriture en arabe, en Algérie, est un acte désespéré et voué à l’échec, en voyant dans cette langue toutes les contraintes du monde ; pis, ils la regardent d’un œil méprisant.
Mais que dire donc de ceux formés à l’école algérienne (bilingues ou arabisés) lorsqu’ils choisissent de communiquer ou d’écrire dans une autre langue que l’arabe, le français particulièrement ? Là, à chacun ses convictions, ses choix et ses ambitions qui doivent être respectés. Le temps seul dira s’ils ont opté ou non pour le meilleur des choix. Moi, si un jour je serai obligé, par une quelconque motivation, de choisir, je choisirai d’écrire mes romans en arabe, comme je le fais. Mais si on me donnerait à choisir, pour mes enfants, entre deux langues étrangères, je choisirai l’anglais par pragmatisme. D’ailleurs, si les Algériens étaient invités à choisir, par référendum, la langue étrangère qui garantisse à leurs enfants, depuis la maternelle, une insertion possible dans le contexte de la mondialisation, ils choisiraient l’anglais, sans hésitation. C’est pour cela qu’on constate, depuis quelques années seulement, que la nouvelle classe riche, comme certaines catégories sociales, moyennes, aisées, commencent à orienter leurs enfants vers ce créneau : apprendre l’anglais dans des cours parallèles ou dans des centres spécialisés. En schématisant un peu, vu les enjeux sociaux à travers la langue, je ne me prive pas d’admettre que ni l’arabe ni le français, dans un avenir proche, ne pourraient concurrencer l’anglais dans des secteurs sensibles comme l’informatique, la génétique, la recherche de pointe, la bourse, les transactions, les transferts de fonds, la diplomatie, l’information, la communication et la traduction de la pensée universelle.
Imaginons un Algérien monolingue ou bilingue, sorti de la zone francophone ou arabophone, d’ailleurs très réduites toutes les deux géographiquement par rapport à l’anglophone, cet Algérien trouvera toutes les peines du monde pour se lier aux autres et communiquer avec eux par le verbe ; il lui faudrait ou bien un drogman (du mot arabe torjman) ou un dictionnaire touristique illustré de petites saynettes. En conséquence, la question de la langue en Algérie, hormis son statut juridique qui la régule, doit être posée en termes de pragmatisme et non en termes idéologiques. Nos langues, arabe et tamazight, comme deux langues nationales, soudent davantage notre unité nationale et confirment notre spécificité identitaire. Le débat ne doit pas être rouvert là-dessus. Quant à la langue française, comme langue étrangère, bien cousue dans la texture culturelle algérienne, il faudrait la prendre comme telle, en bénéficiant de sa fonctionnalité dans des secteurs précis. On ne peut imaginer, par exemple, la scène médiatique vide de la presse francophone ni d’ailleurs le champ littéraire des écrits d’expression française. Je me souviens encore de la satisfaction que j’ai eue lorsque j’ai lu Moustafa Lacheraf, dans son dernier grand livre, à caractère socioculturel et ethnographique intitulé Des noms et des lieux, mémoire d’une Algérie oubliée, dans sa version originale, puis dans celle traduite en arabe à laquelle j’avais consacré deux chroniques dans le journal El Djazair-News.
Tout en lisant, je découvrais le type d’Algérien que représente cet intellectuel hors pair, dont l’Algérie ne cesse d’y chercher dans sa marche contemporaine pour ajuster son équilibre culturel. Je sentais Lacheraf se métamorphoser en un modèle algérien supérieur à travers les 470 pages écrites d’un alliage stylistique fascinant comprenant autobiographie, mémoire, récit chargé de nostalgie et d’amertume, de souvenirs d’enfance pleins de joies et de tristesses, d’expériences lourdes par leurs émotions, leur malheur, leur amertume et leurs déceptions sans que tout cela n’influe négativement sur son âme de patriote ni sur sa vision profonde sur les choses, les questions de la culture, de la littérature, des arts, les actes, les événements et sur les hommes de son temps grâce à sa double et solide culture acquise simultanément à l’école coloniale et à la madrasa Atha’alibya. Il lisait aisément dans les deux langues (sa grande et riche bibliothèque était bien bilingue. En énumérant les classiques arabes cités par lui, j’ai été pris par une sensation d’émerveillement). Il réfléchissait aussi avec. N’était la condition historique, n’étaient également les préjugés de part et d’autre, il aurait écrit aussi dans cette langue arabe qu’il aimait tant. Dans mes petites réponses aux lecteurs qui m’ont écrit par e-mail à propos de ma contribution sur le roman algérien d’expression arabe, d’ailleurs que je remercie vivement, j’avais souligné l’importance du rôle joué par les hommes de théâtre algériens (Bachetarzi, Kaki, Kateb et Alloula) dans la création d’une langue médiane, mais belle par sa limpidité poétique car ils avaient cette capacité d’écrire et de dire des mots qui touchent aux cœurs et ravivent la mémoire collective.
Moi, écrivain arabophone, après avoir publié cinq romans, qui diffèrent l’un de l’autre, sur le plan lexical et structurel, je m’y trouve toujours là perplexe devant ma langue que je n’arrive pas à manier aisément pour qu’elle dise les choses du quotidien, de tous les jours tout en gardant sa structure morphologique, syntaxique, sa forme poétique et sa dimension métaphorique. Comme je leur avais dit : je ne suis pas de ceux qui pensent en termes d’éliminer le français ni de ceux qui croient que la langue arabe est le problème de notre école. Au contraire, je croie sincèrement que, nous Algériens, nous devrions œuvrer ensemble pour la même finalité : faire de notre pays une société moderne, avec toutes ses composantes linguistiques qui nous donnent la sensation d’être tous des citoyens de la même patrie. C’est par la volonté et la sincérité des femmes et des hommes, Algériennes et Algériens, attentifs au battement du cœur de leur société, que la question de la langue trouvera son issue finale. C’est notre algérianité qui le demande, c’est notre unité nationale qui l’impose. Reste que j’ai eu toujours l’impression que beaucoup d’écrivains, comme beaucoup d’autres intellectuels francophones, ne mesurent pas assez le rôle que devrait jouer la langue arabe dans la société algérienne pour l’équilibre social et affectif attendu. Toute démarche empruntant le sentier battu de distinction sociale ou culturelle, sur le principe de la langue, dans une même société, n’engendrerait que des réactions isolationnistes et ne cultiverait que la haine.
Mais que dire donc de ceux formés à l’école algérienne (bilingues ou arabisés) lorsqu’ils choisissent de communiquer ou d’écrire dans une autre langue que l’arabe, le français particulièrement ? Là, à chacun ses convictions, ses choix et ses ambitions qui doivent être respectés. Le temps seul dira s’ils ont opté ou non pour le meilleur des choix. Moi, si un jour je serai obligé, par une quelconque motivation, de choisir, je choisirai d’écrire mes romans en arabe, comme je le fais. Mais si on me donnerait à choisir, pour mes enfants, entre deux langues étrangères, je choisirai l’anglais par pragmatisme. D’ailleurs, si les Algériens étaient invités à choisir, par référendum, la langue étrangère qui garantisse à leurs enfants, depuis la maternelle, une insertion possible dans le contexte de la mondialisation, ils choisiraient l’anglais, sans hésitation. C’est pour cela qu’on constate, depuis quelques années seulement, que la nouvelle classe riche, comme certaines catégories sociales, moyennes, aisées, commencent à orienter leurs enfants vers ce créneau : apprendre l’anglais dans des cours parallèles ou dans des centres spécialisés. En schématisant un peu, vu les enjeux sociaux à travers la langue, je ne me prive pas d’admettre que ni l’arabe ni le français, dans un avenir proche, ne pourraient concurrencer l’anglais dans des secteurs sensibles comme l’informatique, la génétique, la recherche de pointe, la bourse, les transactions, les transferts de fonds, la diplomatie, l’information, la communication et la traduction de la pensée universelle.
Imaginons un Algérien monolingue ou bilingue, sorti de la zone francophone ou arabophone, d’ailleurs très réduites toutes les deux géographiquement par rapport à l’anglophone, cet Algérien trouvera toutes les peines du monde pour se lier aux autres et communiquer avec eux par le verbe ; il lui faudrait ou bien un drogman (du mot arabe torjman) ou un dictionnaire touristique illustré de petites saynettes. En conséquence, la question de la langue en Algérie, hormis son statut juridique qui la régule, doit être posée en termes de pragmatisme et non en termes idéologiques. Nos langues, arabe et tamazight, comme deux langues nationales, soudent davantage notre unité nationale et confirment notre spécificité identitaire. Le débat ne doit pas être rouvert là-dessus. Quant à la langue française, comme langue étrangère, bien cousue dans la texture culturelle algérienne, il faudrait la prendre comme telle, en bénéficiant de sa fonctionnalité dans des secteurs précis. On ne peut imaginer, par exemple, la scène médiatique vide de la presse francophone ni d’ailleurs le champ littéraire des écrits d’expression française. Je me souviens encore de la satisfaction que j’ai eue lorsque j’ai lu Moustafa Lacheraf, dans son dernier grand livre, à caractère socioculturel et ethnographique intitulé Des noms et des lieux, mémoire d’une Algérie oubliée, dans sa version originale, puis dans celle traduite en arabe à laquelle j’avais consacré deux chroniques dans le journal El Djazair-News.
Tout en lisant, je découvrais le type d’Algérien que représente cet intellectuel hors pair, dont l’Algérie ne cesse d’y chercher dans sa marche contemporaine pour ajuster son équilibre culturel. Je sentais Lacheraf se métamorphoser en un modèle algérien supérieur à travers les 470 pages écrites d’un alliage stylistique fascinant comprenant autobiographie, mémoire, récit chargé de nostalgie et d’amertume, de souvenirs d’enfance pleins de joies et de tristesses, d’expériences lourdes par leurs émotions, leur malheur, leur amertume et leurs déceptions sans que tout cela n’influe négativement sur son âme de patriote ni sur sa vision profonde sur les choses, les questions de la culture, de la littérature, des arts, les actes, les événements et sur les hommes de son temps grâce à sa double et solide culture acquise simultanément à l’école coloniale et à la madrasa Atha’alibya. Il lisait aisément dans les deux langues (sa grande et riche bibliothèque était bien bilingue. En énumérant les classiques arabes cités par lui, j’ai été pris par une sensation d’émerveillement). Il réfléchissait aussi avec. N’était la condition historique, n’étaient également les préjugés de part et d’autre, il aurait écrit aussi dans cette langue arabe qu’il aimait tant. Dans mes petites réponses aux lecteurs qui m’ont écrit par e-mail à propos de ma contribution sur le roman algérien d’expression arabe, d’ailleurs que je remercie vivement, j’avais souligné l’importance du rôle joué par les hommes de théâtre algériens (Bachetarzi, Kaki, Kateb et Alloula) dans la création d’une langue médiane, mais belle par sa limpidité poétique car ils avaient cette capacité d’écrire et de dire des mots qui touchent aux cœurs et ravivent la mémoire collective.
Moi, écrivain arabophone, après avoir publié cinq romans, qui diffèrent l’un de l’autre, sur le plan lexical et structurel, je m’y trouve toujours là perplexe devant ma langue que je n’arrive pas à manier aisément pour qu’elle dise les choses du quotidien, de tous les jours tout en gardant sa structure morphologique, syntaxique, sa forme poétique et sa dimension métaphorique. Comme je leur avais dit : je ne suis pas de ceux qui pensent en termes d’éliminer le français ni de ceux qui croient que la langue arabe est le problème de notre école. Au contraire, je croie sincèrement que, nous Algériens, nous devrions œuvrer ensemble pour la même finalité : faire de notre pays une société moderne, avec toutes ses composantes linguistiques qui nous donnent la sensation d’être tous des citoyens de la même patrie. C’est par la volonté et la sincérité des femmes et des hommes, Algériennes et Algériens, attentifs au battement du cœur de leur société, que la question de la langue trouvera son issue finale. C’est notre algérianité qui le demande, c’est notre unité nationale qui l’impose. Reste que j’ai eu toujours l’impression que beaucoup d’écrivains, comme beaucoup d’autres intellectuels francophones, ne mesurent pas assez le rôle que devrait jouer la langue arabe dans la société algérienne pour l’équilibre social et affectif attendu. Toute démarche empruntant le sentier battu de distinction sociale ou culturelle, sur le principe de la langue, dans une même société, n’engendrerait que des réactions isolationnistes et ne cultiverait que la haine.